Elle déterminera l’avenir d’une filière tout entière, comme celui de millions de consommateurs en Europe. Très attendue par le monde de la vape, la prochaine législation européenne (ou TPD) sur les produits du vapotage s’annonce pour le moins périlleuse. Bien loin d’une stratégie efficace de lutte contre le tabagisme et de réduction des risques.
Pour décrypter en détail les enjeux de cette TPD 2024, le Vapexpo Paris 2024 a accueilli 4 acteurs majeurs du secteur au dernier jour du salon, lundi 25 mars dernier, dont JeSuisVapoteur.
Étaient ainsi présents à la conférence “TPD, le début de la fin ?”* :
- Stéphanie Pochon, représentante de l’Alliance européenne de la vape indépendante (IEVA) à Bruxelles ;
- William Lowenstein, médecin, addictologue et président de l’association SOS Addiction ;
- Agnès Dubois-Colineau, consultante en stratégie institutionnelle et affaires publiques auprès de la Fédération interprofessionnelle de la vape (FIVAPE) ;
- et Florent Biriotti, co-fondateur et porte-parole du collectif #JeSuisVapoteur (JSV).
Durant une heure, ces 4 intervenants ont échangé sur la place que s’est progressivement faite cette nouvelle alternative sans tabac dans le sevrage des fumeurs, depuis son apparition, il y a maintenant plus de 15 ans, et sur l’importance qu’elle revêt dans la lutte antitabagique mondiale.
Leurs mots d’ordre : reconnaissance et différenciation pour ces outils de réduction des risques que sont les produits sans combustion.
Qu’est-ce que la TPD ?
Pour mieux comprendre les enjeux actuels entourant la prochaine TPD, il nous faut d’abord comprendre ses fondements.
La TPD, ou Tobacco Products Directive, est une Directive européenne mise en place dans les années 1980 pour encadrer les produits du tabac à fumer. Règles d’étiquetage, taxation et droits d’accise, mais aussi interdictions et autres réglementations… Elle impose un cadre législatif minimal, et commun à tous les États membres de l’UE.
D’abord exclusivement concentrée sur les produits du tabac avec combustion (les cigarettes), la TPD s’est étendue aux produits dits « connexes », comme le tabac à chauffer et la cigarette électronique, en 2014. D’où la révision n°2014/40/UE.
Malgré l’absence de tabac dans une cigarette électronique, tout produit du vapotage avec nicotine a alors été classé comme produit du tabac et soumis à des normes strictes quant à sa fabrication, son conditionnement et sa commercialisation.
LES GRANDES MESURES DE LA TPD 2014
Dans les grandes lignes, la TPD encadre ainsi désormais :
- La contenance d’un flacon de e-liquide nicotiné, qui ne peut excéder 10 ml;
- La teneur maximale en nicotine d’un e-liquide, fixée à 20 mg/ml;
- L’étiquetage d’un e-liquide avec nicotine, qui doit faire figurer sa composition, sa teneur en nicotine, son numéro de lot, ou encore l’avertissement sanitaire suivant : « La nicotine contenue dans ce produit crée une forte dépendance. Son utilisation par les non-fumeurs n’est pas recommandée ».
Quant à la publicité et au parrainage, ils deviennent dès lors interdits.
En France, le gouvernement a transposé cette nouvelle version de la TPD a dans le droit français le 19 mai 2016, par l’ordonnance n°2016-623. Elle s’est également accompagnée d’une norme supplémentaire, centrée sur le contrôle qualité des e-liquides nicotinés. Confiée à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, elle oblige chaque fabricant et importateur à soumettre un dossier de notification de mise sur le marché 6 mois avant la commercialisation dudit produit.
LES MESURES POSSIBLES DE LA TPD 2024
Subissant certaines pressions – de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) entre autres – pour encadrer toujours plus durement les produits du vapotage, l’Europe réfléchit désormais à réviser cette version de la TPD 2014.
En prévision notamment :
- Une taxation des produits du vapotage, sans différenciation avec celle appliquée pour les produits du tabac à fumer ;
- Une limitation des arômes et/ou des appellations produits ;
- Une restriction des packagings produits ;
- Une interdiction de certains produits en particulier, type cigarettes électroniques jetables ou nouveaux produits à la nicotine (pouch, etc.)
D’abord prévue pour 2024, la révision de la TPD pourrait néanmoins être encore repoussée de quelques années.
TPD 2024 : une lueur d’espoir en Europe ?
Si l’on s’en tient au cadre législatif donc, tout produit du vapotage est considéré comme produit du tabac. De ce fait, il ne peut être défini comme un produit bénéfique à la lutte antitabagique ou de sevrage tabagique.
Or, en pratique, la cigarette électronique démontre chaque jour l’inverse, que ce soit du point de vue des fumeurs, comme des chercheurs. Elle est le moyen le plus efficace et apprécié pour sortir du tabagisme.
Preuve en est, d’après une enquête de l’Institut Molinari¹, elle aurait aidé 1,6 million de Français d’arrêter de fumer.
« En adoptant une approche plus défensive excluant les utilisateurs d’e-cigarette n’utilisant pas de liquides avec nicotine, on peut estimer que la cigarette électronique a aidé 1,35 millions personnes à arrêter de fumer […] Ce résultat constitue probablement une fourchette basse, l’application de la méthode employée par Santé publique France en 2019, qui n’exclut pas les utilisateurs d’e-cigarette sans nicotine, laisse à penser que la cigarette électronique a aidé jusqu’à 1,6 millions personnes à arrêter de fumer »
– Institut Molinari, L’innovation au service des consommateurs et de la réduction des risques,
Le cas des substituts à la cigarette, janvier 2024
Comme l’a indiqué Stéphanie Pochon lors de la conférence TPD du Vapexpo Paris 2024, ces messages d’espoir n’ont pas échappé à la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) du Parlement européen sur les maladies non transmissibles (MNT)².
Fin 2023, cette dernière a en effet reconnu l’apport de la cigarette électronique dans l’aide au sevrage. Faisant ainsi un pas vers la reconnaissance de la vape en tant qu’outil utile à la santé publique.
« La Commission estime que la cigarette électronique pourrait permettre à certains fumeurs d’arrêter progressivement de fumer »
– Commission ENVI sur les maladies non transmissibles,
rapport final (section 5.d), novembre 2023
L’ENJEU CRUCIAL DE LA RÉDUCTION DES RISQUES
L’enjeu entourant la prochaine TPD est donc de taille. À défaut d’avoir son propre cadre législatif, la vape doit être considérée à hauteur de ses risques. C’est-à-dire 95 % moins nocive que le tabac à fumer.
Pour ce faire, un changement de paradigme est plus que nécessaire, porté par les leçons du passé. Substituts nicotiniques, méthadone, les exemples de produits alternatifs d’abord rejetés par les sphères médicale et politique sont nombreux. Pourtant, chacun d’entre eux fait aujourd’hui partie intégrante des dispositifs d’accompagnement proposés… et bien heureusement !
Comme l’a rappelé le Pr. Lowenstein au cours de la conférence, toute stratégie de réduction des risques est préférable à l’utopie du risque zéro. C’est également cette réflexion qui a conduit la Commission internationale des drogues et narcotiques (CND) à reconnaitre, en mars 2024, les stratégies de réduction des risques efficaces en matière de politiques de santé publique.
C’est pourquoi, dans l’optique d’une TPD 2024 plus juste, l’industrie de la vape demande une véritable prise en compte des bénéfices/risques de la cigarette électronique. Avec, à la clé :
- l’absence de taxation ou, à défaut, une taxe différenciée ;
- la conservation des arômes de la vape, essentiels à la réussite d’une démarche de sevrage tabagique ;
- l’engagement des gouvernements dans des politiques de santé publique plus progressistes, aux côtés des défenseurs de la réduction des risques.
Autrement dit, obtenir des décideurs politiques le début d’une reconnaissance que la vape est à l’antithèse du tabac. Soit qu’elle est vouée à sortir les fumeurs des dangers de la combustion, non à les y faire entrer.
Malheureusement pour elle, le combat ne se joue pas uniquement à l’échelle européenne…
2024 : une année de bouleversements à l’échelle française ?
Si l’Europe n’a pas encore statué sur le sort de la vape, ses états membres continuent pourtant d’enchaîner les restrictions. On le voit en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Espagne ou encore au Portugal. Et la France pourrait bientôt les rejoindre.
Poussé par ses voisins, mais aussi, paradoxalement, par les associations antitabac françaises, le gouvernement s’apprête en effet à changer drastiquement de trajectoire.
« On sent, avec la publication du nouveau plan national de lutte contre le tabac (PNLT), un changement de paradigme en France, où on vient sur l’interdiction de certains arômes, on vient sur le paquet neutre et la taxe n’est pas loin derrière, même si elle n’est pas citée pour l’instant… »
– Agnès Dubois-Colineau, FIVAPE
Conférence “TPD, le début de la fin”, Vapexpo Paris 2024
Au cœur de chacune de ces mesures : des arguments à visée émotionnelle, touchant à “la protection de la jeunesse”. La cigarette électronique est ainsi accusée de cibler volontairement les jeunes, enfants et autres mineurs. Quant elle n’est pas tout simplement associée à des volontés malveillantes provenant de l’industrie du tabac.
UN COMBAT D’INFORMATION
C’est notamment pour contrer de telles affabulations que le collectif JeSuisVapoteur est né. Difficile, néanmoins, de se faire entendre dans les médias, persuadés de se trouver face à une sous-industrie de Big Tobacco.
« On est en train de tomber dans un piège avec les associations antitabac, qui ont décidé que Big Tobacco c’est également… nous désormais […] Malheureusement aujourd’hui, on se voit fermer les portes des médias, qui ont peur qu’en parlant simplement de la vape, ils en fassent la promotion »
– Florent Biriotti, JeSuisVapoteur
Conférence “TPD, le début de la fin”, Vapexpo Paris 2024
Associations et acteurs de l’industrie du vapotage peinent donc à avoir la visibilité nécessaire pour informer justement la population. Sondages, conférence citoyenne, interviews radio ou encore clean tags, JeSuisVapoteur veille ainsi à diversifier au maximum ses actions, afin de se faire entendre dans la sphère publique, politique et médiatique.
Pour autant, comme tous l’ont martelé durant cette conférence, un tel combat ne peut être mené par quelques acteurs seulement. Il doit être porté par toute la filière, des professionnels aux particuliers.
TPD 2024, PNLT 2023-2027… L’importance de la mobilisation
À l’échelle européenne comme française, la vape telle que nous la connaissons aujourd’hui est menacée de toute part.
Fiscalité, arômes, règlementation… si associations, collectifs et même professionnels de santé font leur possible pour changer la donne auprès des élus, des consommateurs et du grand public, l’unicité de toute la filière du vapotage est essentielle pour espérer assurer la pérennité de cet efficace outil de réduction des risques et de sevrage tabagique.
Lors de la conférence sur la TPD 2024 au Vapexpo Paris 2024, les 4 intervenants ont ainsi porté des messages forts à destination de tous les professionnels et particuliers :
« On vous le dit à tous : unissez-vous, ne croyez pas que votre petite voix dans votre magasin de vapoteurs n’est pas importante, elle l’est. Parce qu’il n’y a pas assez de messages publics qui sortent. À vous de les faire sortir, à nous de les faire sortir. On n’a pas d’allié autre que nous-mêmes, on doit tous être ensemble »
– Florent Biriotti, JeSuisVapoteur
Conférence “TPD, le début de la fin”, Vapexpo Paris 2024
« Continuez de vous mobiliser sur cette idée que la lutte contre les maladies induites par la combustion commence par la réduction des risques.
L’abstinence est la tyrannie de l’idéal dans un premier temps »
– Professeur William Lowenstein, SOS Addiction
Conférence “TPD, le début de la fin”, Vapexpo Paris 2024
* Retrouvez l’intégralité de la conférence “TPD, le début de la fin ?” du Vapexpo Paris 2024 sur la chaîne YouTube de l’événement.
Pour aller plus loin :
- ¹ Téléchargez les résultats de l’enquête de l’Institut Molinari en version PDF, et retrouvez le décryptage complet de JeSuisVapoteur
- ² Téléchargez le rapport final de la Commission ENVI du Parlement européen sur les maladies non transmissibles : version PDF (en anglais)